[RO10.2] --- [DIGNITE] DGFTW .Vs. Mandrilux [PHANTOM]

Le meilleur ami de Marti Aroha, Evan Hoapai, n’était pas un méchant garçon, loin de là. Lorsqu’il rencontra Bern, au refuge du Fanal bleu où celui-ci avait trouvé refuge sous le nom de Liam Gaou, il crut naturellement à son histoire d’ouvrier laissé pour compte après la construction de la cité. Des ouvriers de ce style, le quartier de Bayukona en comptait tant qu’il était difficile d’en évaluer le nombre réel. Lorsque les cités-bulles étaient érigées, on offrait en général aux ouvriers – majoritairement clandestins ou exilés – d’obtenir la citoyenneté et un logement de fonction au sein de la future cité. S’ils lisaient bien les petits caractères, en bas de leur contrat d’embauche, ils étaient avertis qu’il leur serait fourni un logement parmi ceux disponibles après la distribution aux ayant droits, c’est-à-dire les immigrants reçus légalement.

Faute de mieux, ils acceptaient pratiquement tous, espérant hérités d’un logement de bonne facture. Mais les villes étaient majoritairement remplies au-delà de leur capacité et lorsqu’ils obtenaient quelque chose, les ouvriers n’héritaient de rien de mieux que les taudis rapidement insalubres des bas quartiers, trop humides, trop froids ou pire, trop chauds. Certains se voyaient contraints de rester vivre sur les chantiers, parmi les décombres des matériaux inutilisés. Si la plupart se contentait de cette situation qui leur permettait au moins de résider dans une cité-bulle, les autres finissaient par se retrouver à la rue, sans le sou et sans toit lorsque les conditions déplorables de leur logement de fortune menaçaient de mettre à mal leur santé. Le refuge du Fanal bleu comptait une bonne dizaine de ces oubliés du système.

Bern s’était donc inventé une double identité sur cette base : ouvrier électricien d’origine portugaise, il n’avait obtenu qu’un refuge surpeuplé au sein des tours-containers du nord de Bayukona et avait été forcé de le quitter en raison des pluies qui avaient rongé la tôle jusqu’à fragiliser, puis détruire sa tour.

En réalité, Bern n’avait pas eu à chercher bien loin les détails de ce mensonge. Sa mère était en effet d’origine portugaise et lui avait parlé sa langue natale jusqu’à ce que son père, surgissant dans sa vie sans prévenir, ne l’enlève à sa condition. Il avait passé toute son enfance auprès de sa mère dans l’une de ces tours branlantes qui menaçaient à tout instant de ployer sous leur propre poids, puis son adolescence dans un palace dotée de la climatisation et du chauffage. Il avait appris l’anglais, le français, le chinois et l’arabe sous l’égide d’un père qui estimait qu’il était inadmissible qu’un enfant parle une langue aussi vulgaire que le portugais. Bern avait donc travaillé trois ans avec les meilleurs orthophonistes de la ville, dans le but inavoué de faire disparaître toute trace de ses origines dans sa diction, à tel point que jamais personne n’aurait pu soupçonner que du sang portugais coulait dans ses veines.

Toutefois, sitôt revenu à Bayukona, sous l’identité de Liam Gaou, Bern avait repris avec une facilité déconcertante l’accent typique et les expressions qu’il avait entendues si souvent dans la bouche de sa mère. Deux semaines plus tôt, il avait lu dans la Gazette qu’une tour-container s’était effondrée, entrainant la mort de dizaines de résidents et la mise à la rue de centaines d’autres. Il s’était inspiré du drame pour ficeler son histoire et lui assurer un semblant de crédibilité.

Personne n’avait même songé à douter de son histoire, tant elle ressemblait à toutes celles qu’on entendait quotidiennement dans cette partie de la ville. Personne ne s’était interrogé non-plus à la raison pour laquelle un énième ouvrier apparaissait. Bern s’était assuré de s’identifier à la masse la plus anonyme et habituelle qui soit en se créant des papiers qui correspondait à un ancien ouvrier ayant travaillé sur Olendel mais ayant disparu des registres de la cité, soit qu’il ait été tué, soit qu’il ait fugué. Ce travail minutieux avait pris des semaines de recherches, mais Bern avait toujours conservé précieusement cette porte de sortie ouverte, de sorte qu’il puisse disparaître en cas de besoin. Il avait donc fait réactiver à intervalles irréguliers la puce du véritable Liam Gaou, de sorte que les archives de la cité indiquaient comme toujours vivant l’ouvrier disparu.

Au moment où les Muukhaï étaient devenus une menace, il n’avait plus eu qu’à enfiler le costume de Liam Gaou. Evan l’avait pris sous son aile comme il en avait déjà pris cent comme lui et, effectuant son travail selon la routine coutumière, l’avait aidé à trouver une carte de travail. L’absence d’expérience de travail sur la puce de Liam Gaou, seule donnée que Bern n’avait pas falsifiée, s’expliquait aisément : la plupart des ouvriers ne trouvaient pas d’emploi facilement et se faisaient payer au black, vivant de petits boulots non déclarés en petit boulots non déclarés. Evan, dont la mère était une réfugiée, était le mieux placer pour comprendre la précarité d’une telle situation. Il fit donc jouer ses relations pour faire entrer Bern au service d’un petit manufacturier local qui lui devait un service. Ainsi commença la relation d’amitié entre Liam Gaou et Evan Hoapai et la nouvelle vie de Bern.

À suivre...